CHALLENGES Où sont passés les millions d'Emmanuel Macron? Par Thierry Fabre le 14.03.2017 à 16h47 Lecture 5 min. L’ONG anti-corruption Anticor vient de saisir la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) sur l’incohérence entre les revenus et le patrimoine d’Emmanuel Macron. Le candidat d’En Marche! va devoir s’expliquer. Où sont passés les millions de Macron? L’ONG anti-corruption Anticor vient de saisir la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique sur l’incohérence entre les revenus et le patrimoine d’Emmanuel Macron. STR/Afp Est-ce le début d’une « affaire Macron » ? Peut-être, car la très sérieuse association anti-corruption Anticor a saisi, le 13 mars, la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) sur la déclaration de patrimoine du candidat à la présidentielle, déposée en octobre 2014, après sa nomination comme ministre de l’Economie. Le problème: Macron a perçu 2,8 millions d’euros, de 2008 à 2012, lorsqu’il était banquier chez Rothschild. Mais sa déclaration de 2014 fait état d'un patrimoine de 1,2 million d’euros et d’un endettement de plus d’un million, soit un actif net inférieur à 200.000 euros. Anticor constate un « manque de cohérence entre les revenus et le patrimoine déclarés ». « Nous avons confiance dans la Haute Autorité, souligne Eric Alt, le vice-président de l’association. Mais compte tenu de la place de Monsieur Macron dans cette campagne électorale, nous lui demandons de vérifier le caractère exhaustif, exact et sincère de sa déclaration ». Cet écart entre les revenus et le patrimoine lui fait même craindre « une nouvelle affaire Cahuzac ». De fait, Anticor pousse la HATVP à vérifier si Emmanuel Macron n’a pas camouflé d’argent dans des paradis fiscaux, comme l’ex ministre du Budget… L’affaire crée un buzz énorme sur les réseaux sociaux. A la mi-février, deux maires et un responsable associatif avaient déjà saisi la HATVP sur les anomalies de la déclaration de Macron. « Il est impossible de dépenser autant. Il y a un soupçon de dissimulation de patrimoine », lance Serge Grass, à la tête de l’Union Civique des Contribuables Citoyens, qui a quelques arrières pensées politiques. Nous constatons un acharnement sur François Fillon. Alors qu’on laisse faire Monsieur Macron ». Très vite, sa saisie de la HATVP a alimenté les attaques des dirigeants du Front National contre le candidat d’En Marche!, en forte progression dans les sondages. « Emmanuel Macron a déclaré un patrimoine faible, très faible », a souligné Florian Philippot sur BFM TV, alors que Marine Le Pen pilonnait « Macron, le candidat de l’argent ». 23.000 euros par mois Alors, où sont passés les millions de Macron? Selon son entourage, ses revenus ont atteint 1,5 million d’euros sur la période 2008-2012, après avoir déduits les impôts et cotisations sociales. L’ex conseiller de François Hollande aurait même payé la taxe à 75% sur les hauts revenus, la mesure très controversée de Hollande, qu’il avait lui-même combattue. Selon sa déclaration d’octobre 2014, il a aussi remboursé 350.000 euros d’un prêt personnel contracté auprès d’Henri Herman, un homme d’affaires dont il était très proche, décédé récemment, et il affirme avoir réglé un prêt familial de 50.000 euros. Au final, Macron aurait disposé de 1,1 million de revenus nets sur quatre ans, soit près de 23.000 euros par mois. Qu’en a t-il fait? Dans une interview au quotidien « La Croix » du 13 mars, il ne donne pas de détails mais insiste sur le poids des impôts: « Comme banquier d’affaires, j’avais le statut d’indépendant. J’ai donc payé sur le montant brut de ma rémunération, des cotisations sociales patronales, salariales puis l’impôt sur le revenu. Ces cotisations ont augmenté et frappé mon dernier revenu de référence, au point que je ne gagnais plus assez pour payer mes impôts. La même année, j’ai en effet divisé ma rémunération par quinze », rappelle l’ex banquier, en évoquant son départ à l’Elysée. On n’en saura pas plus. « Cela relève de sa vie privée, prévient Sylvain Fort, qui dirige sa communication. Il est déjà le plus transparent. Plus il donne de détails, plus cela alimente le doute et le soupçon ». Et de rappeler que la mise en cause porte sur des dépenses privées, avec de l’argent gagné dans le privé. « Il y a une perversion de la transparence », ajoute Fort. De son côté, la HATVP, qui ne fait officiellement aucun commentaire, considère aussi que la vérification des dépenses, ce n’est pas son job! Sa fonction est bien de scruter les liens entre politiques et intérêts privés, en vérifiant les revenus et le patrimoine. Et lorsqu’elle a des doutes, elle alerte immédiatement la justice. C’est ce qu’elle a fait, par exemple, en décembre 2015 pour Jean-Marie et Marine Le Pen dont les déclarations ont été jugées inexactes, avec une « sous-évaluation manifeste de certains actifs immobiliers » ou en mars 2014 avec Yamina Benguigui, ministre du gouvernement Ayrault. Chômage, industrie, high-tech, médias... les graphiques de Challenges en 2017 Ces entreprises qui font rêver les étudiantsPour les Français, l'argent vaut plus que le tempsLe patrimoine des 10 plus grandes fortunes françaises gonfle 2 vérifications et 1 contrôle fiscal Et le cas d’Emmanuel Macron a déjà été passé au peigne fin: deux vérifications de son patrimoine (en 2014 et 2016) et un contrôle fiscal, lorsqu’il a été nommé à Bercy, en 2014. Pour les nouveaux ministres, la HATVP demande systématiquement à l’administration fiscale de vérifier la déclaration de revenus. A cette occasion, le fisc avait jugé que la maison détenue par sa femme, Brigitte Macron, était sous-évaluée. Le couple a ainsi été assujetti à l’ISF, avec un impôt supplémentaire de 6.000 euros. « Aller plus loin, ce n’est plus de la transparence, c’est du flicage », souligne un fonctionnaire proche de l’institution. Emmanuel Macron peut-il en rester là? Assurément pas. Alimentée par ses concurrents, la polémique sur l’incohérence entre ses revenus et son patrimoine va enfler. D’autant que le candidat à la présidentielle n’est pas un flambeur, qui aurait dépensé sans compter ses revenus de banquier, comme l’a confirmé Marc Ferracci, son ami et témoin de mariage, l’un des économistes d’En Marche!: « Emmanuel n’est pas un grand consommateur. Je ne lui vois pas de tocante hors de prix, ni de mocassins italiens » a-t-il lâché à L’Obs. Pour convaincre qu’il n’a rien camouflé sur des comptes offshore, Macron va être obligé d’ouvrir sa comptabilité personnelle et expliquer à quoi il a utilisé précisément son argent de banquier. D’aucuns jugeront cette transparence excessive. Mais vu la multiplication des affaires, qui porte la défiance des citoyens vis de leur classe politique à un niveau record, elle est désormais nécessaire. Macron n’a plus le choix.